Passionnée de lecture depuis mon enfance, j'ai dévoré quelques centaines (ou plutôt quelques milliers) de livres en tous genres dans les dernières décennies. Certains (assez peu) m'ont déplu, quelques autres m'ont laissé indifférente, un grand nombre m'ont permis de passer un momentagréable et/ou de m'instruire sur différents sujets... et puis il y a ceux qui, comme c'est sans doute le cas pour chacun d'entre nous (lecteurs), donnent l'impression de changer quelque chose à notre vie, nous bouleversent, nous transforment. Je voudrais ici partager ces "coups de coeur", en proposant un titre chaque semaine.
Troisième coup de coeur : le roman En attendant les barbares de l'écrivain d'origine sud-africaine John Maxwell Coetzee, né en 1940 et prix Nobel de littérature en 2003.
Dans un désert sans nom, dans un temps incertain, un homme juste et bon, épris de justice, le Magistrat, veille sur une petite cité paisible, perdue dans le désert et repliée sur elle-même. Mais le pouvoir central cherche à attiser les peurs de la population en lui faisant croire qu'une invasion de barbares est imminente. Ces derniers n'ont pas de nom. On ne sait pas grand-chose d'eux, sinon que tout ce territoire leur appartenait autrefois, il y a très longtemps. Maintenant ils vivent misérablement dans des huttes près du lac et de la rivière. On les craint mais on ne sait pas trop pourquoi. S'ils sont barbares, c'est à cause de leur mode de vie nomade ; ils vivent d'élevage, de chasse, de troc aussi avec les habitants de la colonie.
On assiste peu à peu à un malaise croissant dans la petite communauté puis à l'arrivée d'une compagnie armée envoyée en renfort, dont un tortionnaire de la pire espèce. Des prisonniers "barbares" sont ramenés dans la cité et durement torturés ; parmi eux, une jeune femme blessée attire l’attention du Magistrat. La prenant en pitié, ce dernier la recueille durant plusieurs mois avant de la ramener auprès des siens, dans un territoire hostile. Mais à son retour, il sera accusé d'intelligence avec l'ennemi, emprisonné, battu, brisé, avili.
Avec ce récit de la chute progressive du Magistrat, seule personne qui s'oppose au traitement inhumain des "barbares", Coetzee écrit une magnifique parabole qui dénonce les dérives coloniales et dictatoriales de son pays, même si celui-ci n'est jamais cité explicitement. Mais cette critique virulente de la répression et de la torture exercées par un Etat contre tous ceux qu'il désigne comme «barbares» peut s'appliquer à bien des exemples historiques. Coetzee dénonce admirablement la manière dont chaque société crée ses « barbares » pour effrayer ses citoyens et les maintenir dans un état de soumission envers le pouvoir en place. Un livre à méditer.
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